Published 2011-06-21 - Updated 2022-07-22

Zelda Majora's Mask – Le jeu cruel des enfants et les regrets de l'adulte

En écrivant mon article sur Mario 64, je m’étais promis d’en dédier un à Zelda : Ocarina of Time. Un an plus tard, pas de trace de cet article. Il arrivera probablement quand j’aurais l’occasion de mettre la main sur le remake 3D et de le terminer une énième fois.

En attendant c’est son petit frère, Majora’s Mask qui lui vole la vedette, et honnêtement il y a plus à dire sur Majora que sur Ocarina.

Au commencement était un jeu

Revenons en 1998 : le cinquième opus de la saga Zelda fait une entrée fracassante dans le salon des joueurs et est adulé comme un véritable chef d’œuvre vidéoludique.

A l’origine prévu sur le système 64DD puis porté vers un support cartouche pendant le développement, Ocarina of Time se devait de revenir vers son support originel. C’est ainsi que Shigeru Miyamoto approcha le jeune Eiji Aonuma, déjà responsable des donjons et ennemis du jeu en lui demandant de développer Ura Zelda. Comme son nom l’indique, il s’agit de la version “alternative” ou “opposée” d’Ocarina, pour 64DD.

Complètement exténué par le développement d’Ocarina of Time, bosser sur un “New Game+” était bien la dernière chose dont Aonuma rêvait. Profitant de sa jeunesse et de l’arrogance qui va avec, il demanda à Miyamoto de lui laisser développer un Zelda inédit.

Sauf qu’Ocarina of Time avait nécessité pas moins de quatre ans de développement, et qu’une seule petite année était allouée à Ura Zelda. Réaliser une toute nouvelle aventure de Zelda en un an ? Miyamoto n’y croyait pas du tout, mais joueur comme il était, il lança un pari à Aonuma : s’il réussissait à développer une aventure de Zelda inédite en un an, il n’aura pas à faire Ura Zelda.

Ainsi était né Zelda Gaiden, qui sortit deux ans après Ocarina of Time sous le nom de Majora’s Mask.

Deux ans ? Eiji Aonuma et son équipe réussirent un véritable tour de force en développement le sixième Zelda en un temps record : un an et demi. Même en réutilisant la plupart des modèles 3D d’Ocarina, ce n’était pas suffisant pour gagner le pari de Miyamoto et Aonuma ne put échapper à Ura Zelda, que nous connaissons mieux sous le nom de Master Quest.

Le fait que Majora’s Mask soit le fruit d’un pari est une anecdote délicieuse quand on sait que le jeu en lui-même est un thème central du titre.

L’enfant qui ne comprenait pas

Il fut une époque où les peuples de Termina vivaient ensemble, en harmonie, accompagnés des Quatre Géants, gardiens de l’ordre du monde. Un lutin s’était d’ailleurs lié d’amitié avec eux et appréciait leur compagnie, la seule dont il disposait. Ensemble ils partageaient leurs jeux et les jours étaient faits de joie et de rires. Une enfance vécue comme une enfance se doit de l’être.

Mais alors que les peuples de Termina se développaient et que les villes fleurissaient aux quatre coins du monde, les Géants décidèrent de se séparer eux aussi afin de garder les quatre points telluriques. Plongeant dans un sommeil profond, ils laissèrent aux peuples de Termina un chant pour les réveiller en cas de problème : l’Ode de l’Appel.

C’est le propre des enfants que de ne pas comprendre les adultes. Pour un enfant, le monde est merveilleux, libéré de toutes chaines sociales et fait de possibilités, plutôt que de restrictions. Le concept du “devoir” était étranger et incompréhensible aux yeux du lutin. Incapable d’appréhender la cause, il se fixa sur la conséquence : les Géants l’avaient abandonné.

Ne pouvant supporter sa perte, et se retrouvant désormais seul au monde, le lutin se réfugia dans la farce, souvent aux dépend des autres. Peut-être était-ce une façon d’attirer l’attention sur lui, pensant ainsi pouvoir se faire des nouveaux amis ? Peut-être était-ce le seul jeu que connaissait l’enfant ? Toujours est-il, ses méfaits lui attirèrent les foudres des habitants de Termina.

Ils invoquèrent alors les Géants qui stoppèrent le lutin, fondant sur lui avec la colère du père.

Une fois de plus, incapable de comprendre le concept résolument adulte de la “justice”, le lutin se mit à errer seul entre les mondes.

Un nouveau visage

Les Bois Perdus sont des lieux étranges et magiques. En plus de connecter entre elles les différents régions d’Hyrule, ces Bois peuvent être arpentés pour rejoindre d’autres mondes.

Si un adulte qui se perd dans ces bois devient un Stalfos, un enfant qui connait le même sort se transforme en lutin monstrueux, qui s’en prend aux voyageurs (et appelé Stalkid en VO). L’hostilité et la jalousie sont les seuls sentiments qui habitent ces âmes déchues, et leurs sarbacanes s’interposeront à maintes reprises entre Link et sa quête dans Ocarina of Time.

Mais l’un d’eux est différent. Lors de son périple pour sauver Hyrule des griffes de Ganondorf, Link trouve à l’orée des Bois Perdus une créature qui n’est pas totalement agressive.

Cet enfant s’est amouraché d’une chanson qui raisonne parfois à travers les bois, comme si elle parlait au cœur qu’il a depuis longtemps perdu.

Brandissant son ocarina, Link entonne le Chant de Saria et alors que les deux enfants jouent la mélodie en duo, ils semblent redécouvrir ce que signifie l’amitié.

Ayant récupéré ses qualités d’être humain, le garçon rêvent d’un visage. Sa tête est une sphère noir parfaitement uni : il n’y a rien qui puisse le distinguer de ses semblables. Mais celui qui a perdu son identité après s’être égaré en veut désormais une nouvelle. Il veut cesser d’être un monstre pour redevenir un individu à part entière.

Quand Link lui présente le Masque du Squelette, les yeux du lutin s’illuminent. Un masque n’est-il pas un visage de substitut ? Si il porte ce masque, il sera différent de ses pairs, il ne sera pas un simple monstre qui hante la forêt, il sera…

… le Skull Kid.

L’enfant au masque de squelette. Au visage de squelette. Il sera unique, il sera quelqu’un.

Bien entendu les choses ne sont jamais simples, et il ne faudra pas longtemps pour que tous les autres lutins ne revêtent le même masque, le Skull Kid ne devient alors qu’un skull kid parmi les autres. Retour à la non-existence.

Peut-être est-ce la raison qui l’a poussé à abandonner ce masque et à devenir encore plus aigri et violent qu’auparavant ?

La farce qui était allée trop loin

Après avoir perdu les Géants, c’est désormais Saria et Link qui quittent Skull Kid pour accomplir leur devoir.

De retour à Termina, le voilà seul une fois de plus, perdu, déboussolé et terrifié. Après avoir connu la compagnie et la chaleur de l’amitié, la solitude n’en est que plus difficile.

Mais la chance lui sourit de nouveau : lors d’une nuit pluvieuse, Skull Kid fait la rencontre de Taya et Tael, deux petites fées qui deviendront ses amis. Les jours reprennent des couleurs et Skull Kid redécouvre la joie.

Malheureusement, les traumatismes d’un enfant ne s’effacent pas aussi facilement et Skull Kid conserve son penchant pour les mauvaises plaisanteries. Ses farces sombrent chaque jour un peu plus dans le mauvais gout, jusqu’à ce qu’il s’en prenne aux voyageurs pour les dérober de leurs effets personnels.

Peut-être est-ce son instinct en tant que monstre des bois qui refait surface ? Maintenant que les amis qui lui avaient rendu son humanité sont partis, il ne reste plus rien pour le retenir.

Quoi qu’il en soit, ces larcins mèneront le terrible Masque de Majora entre ses mains.

La fascination qu’exerce sur lui le masque vient bien entendu des pouvoirs démoniaques qui l’habitent et qui cherchent à le corrompre. Mais il est également probable qu’il y voit avec nostalgie le Masque de Squelette que Link lui avait offert en gage d’amitié.

La ville est le terrain de jeu des enfants

Les chemins de Link et du Skull Kid se croisent à nouveau quand le lutin lui dérobe Epona et l’Ocarina du Temps. Traquant le voleur jusqu’à Termina, Link est transformé en Peste Mojo. Un sort peu enviable.

Là, il découvre l’ultime plaisanterie de Skull Kid : la lune, désormais dotée d’un visage dément, s’apprête à s’écraser sur Termina. Trois jours avant impact. Le lutin au masque démoniaque lance un pari à Link, tout comme Miyamoto à Aonuma : il doit arrêter la lune en moins de trois jours.

Alors que les adultes s’entre-déchirent pour savoir quoi faire, Link trouve de l’aide chez la Société Secrète des Bombers, une organisation de justiciers en culottes courtes. Souvenez-vous de la morale du Seigneur des Anneaux : quand les puissants auront échoués, c’est des faibles que viendra le salut.

Mais le problème est que vous êtes une Peste Mojo et qu’il y a une certaine animosité à votre égard chez les Bombers. Ayant autrefois accepté Skull Kid en leur sein, et ce dernier s’étant montré peu respectueux de leur code d’honneur, les Bombers sont désormais sur leurs gardes vis à vis des non-humains.

Cette cruauté, horriblement innocente (il s’agit plus d’un pragmatisme froid comme la pierre que d’une idéologie fondamentalement raciste) est l’apanage des enfants. Leur monde est simple et fait d’absolus : si un non-humain vous a fait du tort, alors il suffit de ne plus accepter de non-humains comme membres. L’idée même de la ‘morale’ est complètement étrangère au terrain de jeu des enfants.

Cependant, l’honneur est de mise et tricheurs et rapporteurs sont vus comme étant la pire des engeances. C’est la raison pour laquelle Skull Kid a été banni et que vous avez finalement été accepté après avoir triomphé d’une terrible épreuve : un jeu de cache-cache.

(Oui, c’est à cache-cache qu’un véritable homme montre sa valeur.)

Et le jeu de cache-cache a encore un rôle à jouer dans l’histoire. Mais en attendant, le vendeur de masque s’impatiente…

Les amis que nous avons perdus

Étant en réalité un hylien, Link n’a jamais eu de fée. Il était différent des autres Kokiri et par conséquent il était à part. Si on devait imaginer quatre enfants jouant dans un champs de fleur, alors Link serait le cinquième, restant seul assis en retrait sous un arbre.

En effet, Link n’est pas étranger à la douleur de Skull Kid.

Si l’aventure est synonyme de rencontres, elle est aussi faite d’adieux. Au début de son périple, Link est également un enfant, mais il semble déjà comprendre ce que signifie le devoir. Très vite, il devra se séparer de Saria, et pour eux ces adieux signifient la fin de leur amitié. La prochaine fois qu’ils se verront, ils ne seront plus deux enfants jouant ensemble, mais le Héros du Temps et le Sage du Temple de la Forêt.

Quoi qu’ils en disent, les choses ne seront plus jamais comme avant et Link, tout comme le joueur, doit apprendre à l’accepter.

C’est le destin de Link d’être à jamais seul, car il est différent. Il ne partage pas le même destin que les autres habitants d’Hyrule ou Termina. Lorsqu’il revient chez lui, sept ans après, aucun Kokiri ne le reconnait : il n’a plus sa place nulle part, plus aucun endroit qu’il peut appeler sa maison.

Voyager à travers le monde, ne s’arrêtant jamais bien longtemps au même endroit, toujours en mouvement, croisant des gens sans jamais vraiment se lier à eux, tel est le sort de Link.

Un sort qui finira par revenir le hanter, alors que des siècles plus tard il déplorera de ne pas avoir pu enseigner ses techniques à un disciple.

S’adressant alors à son successeur comme s’il s’agissait de son fils, ses regrets se lisent aussi bien à son horrible apparence de Stalfos (ce qui arrive aux adultes se perdant dans les Bois) qu’à ses mots. Bien que toujours fidèle à son devoir, il rêvait peut-être d’une vie différente. Une vie dans laquelle il aurait eu une famille.

Fils, Mentor et Amant

L’un des principaux intérêts de Majora’s Mask est de pouvoir changer de forme en portant un masque. Mais parmi les quatre transformations possibles, trois sont empruntées à des personnes récemment décédées.

Après avoir apaisé leurs âmes en peine, Link devient capable de porter leur masque et d’assumer leur rôle. C’est ainsi qu’il deviendra tour à tour fils, mentor et amant… des rôles qu’il n’a jamais connu auparavant et qu’il ne connaitra plus jamais par la suite.

Sa première transformation, à l’origine imposée par Skull Kid, lui fait endosser l’identité du fils du Majordome qui officie au palais Mojo. Le lien entre les deux reste anecdotique, puisque si le Majordome reconnait une ressemblance frappante, il ne l’identifie pas comme étant son fils.

Cependant, lors de leur course pour le Masque des Odeurs, le Majordome remercie Link d’avoir soutenu son allure, comme s’il avait pu jouer avec son fils disparu une dernière fois. Le temps d’une course, Link aura assumé le rôle d’un fils qui joue avec son père.

A la fin du jeu, alors que le Carnaval du Temps bat son plein dans la joie et l’allégresse, le Majordome se recueille devant l’arbre mort qui fut jadis son enfant.

Véritable modèle de la tribu Goron, adulé comme un héros, Darmani fait la fierté de son peuple.

Lorsque l’Hiver sans Fin menace la survie de ses frères, le guerrier se dirige vers le Pic des Neiges pour y remédier. C’est là qu’il rencontre sa fin, projeté au fond d’une crevasse par un vent inexplicable.

Alors que Link rencontre son âme emplie de regrets, ce dernier l’implore de lui redonner la vie pour qu’il puisse sauver les siens. Même dans la mort, Darmani reste fidèle à son devoir, une qualité qui résonne au plus profond de Link. Incapable d’exaucer son souhait, l’elfe vêtu de vert apaise l’âme du héros et revêt son apparence, promettant de porter le fardeau de Darmani lui-même.

De retour au village Goron, tous voient en lui leur leader disparu. Et c’est en agissant comme un véritable mentor que Link console et endurcie le fils de l’Ancien qui se jure de devenir plus fort pour lui ressembler.

Cavalier solitaire, c’est la première fois que Link est vu comme un modèle par ses pairs et est réellement reconnu et respecté comme un héros. Si bien que l’Ancien souhaite le nommer Patriarche des Gorons, c’est à dire le chef.

Mais Link s’en va sans mot dire, sa place n’étant auprès d’aucune tribu.

Alors que Link atteint la Grande Baie de Termina, il est témoin d’une scène choquante : un Zora affronte des pirates Gerudo et est mortellement blessé avant d’être jeté à la mer.

Il s’agit de Mikau, dernier descendant d’une lignée de héros Zora et guitariste de génie, jouant pour le fameux groupe Indigo-Go. Son âme ayant été apaisée grâce à l’Ocarina du Temps, il implore dans son dernier souffle le jeune hylien de retrouver les œufs de Lulu, la chanteuse du groupe.

Portant son masque et faisant usage de ses techniques, Link parvient à rassembler les œufs de Lulu et à les lui restituer. Après avoir éclos, les œufs lui enseignent une chanson capable de rendre sa voix à la jeune Zora.

Mais la scène est difficile pour eux deux. Si personne dans le Hall Zora n’est au courant de la mort de Mikau et ne se doute de la supercherie de Link, Lulu reste son amante et… la mère de ses enfants. Link n’est visiblement pas à l’aise en assumant le rôle d’amant et de père, des concepts qui lui sont autant étrangers que faire se peut.

Une fois de plus, Link s’en va pour accomplir la seule chose qui est en son pouvoir. S’il ne peut pas être un fils, un mentor ou un amant, il peut être ce héros solitaire qui sauve le monde dans le plus grand secret.

L’adulte dans un corps d’enfant

Quand Majora’s Mask débute, Link a déjà traversé de nombreuses épreuves. Il a traversé le temps, restant endormis pendant sept ans dans le Saint Royaume. A bien des égards son enfance lui a été volée : il a fermé les yeux en enfant et les a rouverts en adulte. Il est alors forcé de grandir en même temps qu’il traverse les épreuves qui sont sur son chemin.

Et à la fin d’Ocarina of Time, lorsque Zelda entonne le Chant du Temps, ce n’est plus un enfant qu’elle renvoie vers le passé, mais un adulte. Ce qui fait de Link un adulte coincé dans le corps d’un enfant.

Lors de sa quête désespérée pour stopper la descente infernale de la lune, Link va rencontrer un étrange enfant portant un masque de renard. Très vite, il va faire le lien avec un certain Kafei, un adulte aimé dans toute la ville, qui a complètement disparu de la circulation quelques jours à peine avant son mariage avec la belle Anju.

Il s’avère que Kafei est lui aussi victime des farces douteuses de Skull Kid : ce dernier l’a transformé en enfant. Désormais incapable de faire face à sa fiancée, Kafei se cache derrière son Masque de Renard.

Mais ce que Link voit en lui est comme un miroir. Tous deux ont le corps d’un enfant, mais ont en réalité vécu bien plus de choses que n’en témoigne leur apparence. La confiance qui s’établit implicitement entre eux vient de ce lien qu’ils partagent et de cette solitude qui en découle.

Aussi bien Link que le joueur trouvent en Kafei un semblable, et ce n’est surement pas un hasard s’il est le seul personnage directement jouable en dehors de Link dans la série Zelda.

Avec l’aide de Link, Kafei va surmonter ses peurs et choisir de se présenter tel qu’il est devant Anju. C’est en tout cas ce qu’il promet à Link.

Notre héro se retrouve aux côtés d’Anju, attendant avec anxiété la venue de Kafei. Le temps passe et l’enfant malgré lui ne semble pas décidé à se montrer. A-t-il cédé à la peur et à la honte ? A-t-il fui ? Changé d’avis ? Alors que le monde touche à sa fin, c’est la confiance du joueur qui est mise à l’épreuve.

A tout moment le joueur est libre de remonter le temps et d’assurer sa propre survie. C’est quelques minutes seulement avant la catastrophe, alors que la terre tremble et la musique s’affole, que Kafei fait son entrée et est réuni avec sa bien-aimée.

D’un coin de la salle, Link assiste à leur étreinte avec bienveillance et soulagement, avant de remonter le temps, ne laissant derrière lui que quelques notes d’ocarina.

A ce jour, la quête du Masque des Amoureux reste ma quête annexe préférée, tout jeu confondu. Elle est longue et difficile, elle demande un investissement particulier et beaucoup de concentration, car il est très facile de manquer un rendez-vous ou d’arriver trop tard pour récupérer le Masque du Soleil de Kafei. Et c’est justement pour cette raison, parce que le joueur s’implique à 100% dans le malheur des deux amants, qu’elle est si touchante.

Link voit un homme qui partage sa malédiction, et qui la surmonte pour le bien de celle qu’il aime. Cette conclusion est aussi belle que douloureuse, surtout quand on sait que Link n’a personne vers qui se tourner.

Une fois de plus c’est son lot : aider les autres sans jamais recevoir d’aide en retour.

L’enfant seul sous son arbre

Après avoir délivré les Quatre Géants, Link confronte Skull Kid une dernière fois et parvient à le libérer de l’emprise du Masque de Majora. Ce dernier se réfugie alors sur la lune, mettant Link au défi de le suivre.

S’il y a bien une chose à laquelle le joueur ne s’attend pas, c’est de découvrir une plaine verdoyante ponctuée d’un arbre solitaire sur la surface lunaire.

Approchant de la scène, Link découvre cinq enfants. Quatre d’entre eux portent les masques des boss vaincus et jouent ensemble dans la plaine. Le dernier porte le Masque de Majora et est assis tout seul, dans son coin, sous l’arbre.

De tous, il est le plus semblable à Link, parce qu’il est celui qui est “différent”. Il n’est pas comme les autres enfants qui jouent entre eux, il est exclu. Tout comme le garçon sans fée était mis à l’écart dans la Forêt Kokiri.

En approchant les enfants portant les masques des boss, Link peut jouer avec eux. Ces jeux se présentent sous la forme d’un mini-donjon. Une fois complété et l’enfant retrouvé, ce qui marque sa défaite, le joueur doit lui offrir ses précieux masques pour le consoler. Et en échange, Link obtient un quart de cœur.

Ce geste qui imite la façon dont Link a offert le Masque du Squelette à Skull Kid est le symbole d’une nouvelle amitié. Cet échange de cadeaux entre deux personnes qui viennent de jouer à un jeu scelle leur nouvelle relation. L’impact est démultiplié par le fait que les enfants portent les masques des boss : des ennemis redoutable que Link a affrontés et vaincus durant sa quête. Pour la première fois, Link et ses ennemis font la paix.

Cette capacité à mettre derrière soi toute rancune, afin que les pires ennemis d’hier deviennent les meilleurs amis de demain, est une fois de plus une qualité des enfants. La méfiance, le doute, le mépris et la haine sont des concepts qu’ils n’ont pas encore eu le temps de découvrir. C’est ce qui leur donne la force de croire en leur prochain avec tant d’aisance.

Fait troublant : les enfants posent tous des questions à Link, comme s’ils remettaient en question le monde absolu qui est le leur, et commençaient à percevoir la nuance qui compose le monde des adultes.

Leurs interrogations montrent qu’ils sont en train de grandir. Petit à petit, ils quittent le monde simple de l’enfance pour entrer dans celui des adultes, fait de subtilité et de doute.

Le jeu de l’ogre

Après avoir scellé son amitié avec les quatre enfants, il est temps pour Link de revenir vers celui portant le Masque de Majora.

Ce dernier propose à Link un ultime jeu : le jeu du oni. Il s’agit de l’équivalent japonais de ce que l’on appelle “jouer à chat” chez nous. L’un des joueurs est l’oni (ogre) et doit retrouver et attraper les autres enfants qui tentent de se cacher.

Link jouera le rôle de l’oni, ce qui n’est pas surprenant si on se place du point de vue de Majora : il est l’enfant qui joue et Link est l’horrible adulte qui tente de le rattraper et de le punir.

Majora offre alors à Link son ultime masque : le Kishin no Kamen (traduit tant bien que mal en Fierce Deity’s Mask en anglais et n’importe comment en Masque de Puissance des Fées en français), pour refléter son rôle dans le jeu.

Lorsqu’il porte ce masque, Link devient réellement un adulte, y compris en apparence. Son aspect inquiétant et terrorisant est le cauchemar même de Majora : l’autorité qui vient mettre fin au jeu.

Car c’est en réalité tout ce qu’est Majora : un enfant qui refuse de grandir. Il n’est pas différent de Skull Kid, dans le sens où le seul jeu qu’il connaisse est la farce. Et étant donné ses pouvoirs, celle-ci a des conséquences désastreuses.

Autrefois scellé par les Anciens pour avoir porté malheur et désolation sur leurs terres, Majora fait de nouveau face à cette figure autoritaire, voir parentale.

Link est l’enfant qui était devenu un adulte prématurément, et Majora l’enfant qui refusait de grandir. Ces deux garçons, qui semblaient si similaires au premier abord, sont en réalité l’antithèse l’un de l’autre. Cette fois le jeu ne se termine pas par la réconciliation, mais par la mort de Majora. L’enfance ne saurait être éternelle.

Aube d’un Nouveau Jour

Majora terrassé, le masque redevient un simple morceau de bois aux formes intimidantes. Délivré de son emprise, Skull Kid est capable de reconnaitre Link, l’ami qui lui a donné son visage.

Et il est temps pour les Géants de retourner à leur long sommeil. Mais cette fois, les choses sont différentes pour le lutin. Il a grandi. Il comprend désormais que les Géants ne l’ont pas abandonné. Il comprend qu’il y a parfois des obligations dans la vie qui passent avant les jeux. L’enfant farceur est sur le chemin de l’adolescence, son monde d’absolus teinté de noir et de blanc s’effondre pour embrasser toute la subtilité et la beauté du monde des adultes.

Oui, il va devoir se séparer des Géants et de Link une fois de plus. Mais il surmontera cette épreuve. Ce n’est pas la fin de leur amitié : la vie prend juste un tournant différent pour eux.

Gravant une fois de plus la silhouette de ses amis dans le bois, Skull Kid les représentes agitant la main, comme pour dire “adieu” au joueur.

Mais si Skull Kid (et peut être le joueur aussi) a grandi et a pu se résoudre à dire au revoir à ses amis, en est-il de même pour Link ?

Car ce n’est pas un hasard si Link s’est retrouvé dans les Bois Perdus pour commencer : il était à la recherche de quelqu’un. Quelqu’un qui lui était cher, quelqu’un avec qui il avait partagé toutes ses aventures. Quelqu’un dont il a dû se séparer une fois sa quête accomplie.

La meilleure amie qu’il ait jamais eue, Navi la fée.

Lorsqu’il chevauche une nouvelle fois Epona pour quitter Termina, est-il toujours à la recherche de son amie ? Continue-t-il de s’accrocher à son passé, refusant d’accepter leur séparation ?

Malheureusement, son apparence dans Twilight Princess semble indiquer qu’il a poursuivi cette quête, en vain, pour le restant de ses jours.

Au final, dans chaque adulte réside une part d’enfant qui refuse de grandir, et c’est à la fois notre force et notre faiblesse.