Published 2011-04-25 - Updated 2022-07-22

Code Geass – La malédiction du geis

Je pensais qu’écrire sur Code Geass serait simple : il s’agit de mon anime préféré après tout. Mais il y a tant à dire sur Code Geass, que j’ai préféré n’aborder qu’un seul point de la série, et de le détailler comme il se doit.

Cet article traite des liens entre Code Geass et la mythologie irlandaise, comment Lelouch est soumis à plusieurs geasa, des malédictions, et quelles influences ces serments ont sur sa destinée.

Attention spoilers !

Le Limier de Culann

Cú Chulainn (par J. C. Leyendecker)
Cú Chulainn (par J. C. Leyendecker)

Le geis (au pluriel geasa) est une obligation ou une interdiction. C’est comme un vœu, un serment que l’on prête et auquel on est attachés pour le restant de nos jours. Violer cette obligation entraine la malchance et peut même conduire à la mort si le vœu est particulièrement puissant.

Pour autant, le geis n’est pas une simple malédiction, c’est aussi un atout pour ceux qui arrivent à garder parole. Il s’agit d’une source de pouvoir, ne serait-ce que par le respect que cela suscite.

Il s’agit d’un élément récurrent dans la mythologie Irlandaise, et il est facile de voir pourquoi. C’est un excellent outil narratif pour ceux qui cherchent la tragédie : le geis énonce les règles du jeu et permet de mettre en place le piège. Avant la fin, le héros doit enfreindre son geis, ce qui entrainera sa chute. La partie intéressante de l’histoire, c’est de savoir comment cela arrivera.

L’une de ces légendes est celle de Cú Chulainn, un héros du Cycle d’Ulster.

Cú Chulainn était du genre un peu arrogant, même s’il avait bon fond, sa fierté était sans limite et il refusait régulièrement l’aide des dieux, ce qui les vexait quelques peu, et il a donc fini criblé de geasa.

Sa première action a été le meurtre d’un chien, un affreux malentendu qui lui a valu son nom qui signifie «Limier de Culann ». De là lui vient également un geis lui interdisant de manger du chien. Au fil de ses aventures, il contracte également l’obligation de toujours manger la nourriture qu’une femme lui apporte. Les engrenages se mettent en place, sa fin est en vue.

Après la conspiration de ses nombreux ennemis, il se retrouve dans une situation où il est obligé de violer un des deux geasa, car une femme lui demande de manger du chien. Ceci fait, le héros se voit suffisamment affaiblis par la malédiction pour être vaincu.

Le Geass est le pouvoir octroyé à celui qui respecte son geis
Le Geass est le pouvoir octroyé à celui qui respecte son geis

Le Pouvoir du Roi

Venons-en à Code Geass maintenant. La déformation du mot et de sa prononciation ne suffisent pas à masquer l’origine du terme «Geass ». De plus il est intéressant de constater que dans la mythologie Irlandaise, la plupart des geasa sont accordés par des femmes, souvent des sorcières ou des déesses. Le fait que C.C. la sorcière accorde un «Geass » à Lelouch vi Britannia est une allusion directe.

Pourtant le «Geass » et le «geis » ne sont pas tout à fait la même chose. Dans Code Geass le terme est employé pour décrire le pouvoir obtenu, alors que dans la mythologie il s’agit du contrat en lui-même. Ainsi le geis de Lelouch n’est pas son œil permettant de donner des ordres absolus. En réalité, le prince n’est pas lié qu’à un seul geis.

La première obligation à laquelle on pourrait penser est d’honorer le vœu de C.C. Mais le fait est qu’elle se ment à elle-même, et que son véritable vœu n’est pas celui qu’elle croit. Elle demande à mourir, mais Lelouch voit bien qu’en réalité tout ce qu’elle souhaite c’est d’être aimée sincèrement. A-t-il violé ce geis en fin de compte ? Choisir son devoir de souverain par-dessus l’amour qu’il porte à la femme peut être vu comme une trahison. C.C. souhaitais un sorcier pour l’accompagner, mais elle n’a rencontré qu’un révolutionnaire obnubilé par son but.

World of C
World of C

Une seconde obligation, bien plus intéressante au final est celle du «Pouvoir du Roi ». Lorsqu’il établit le contrat, C.C. lui dit que le Pouvoir du Roi le condamnera à une vie de solitude.

Charles parle aussi du Geass comme étant le «Pouvoir du Roi », c’est donc un pouvoir qui ne peut être utilisé que par un souverain. Ce qui signifie que seul un individu se comportant comme tel peut le maitriser. Ce n’est de toute évidence pas le cas de Mao, qui est tout juste un psychopathe faisant une fixette sur C.C. Mais on apprend rapidement qu’il a perdu le contrôle de son pouvoir il y a longtemps, et qu’il est désormais actif en permanence : le pouvoir ne répond plus à sa volonté, il ne se manifeste plus uniquement lorsque son maître l’appelle.

Lors de l’épisode 22 de la première saison, Lelouch sous le masque de Zero rencontre Euphemia li Britannia, résolu à utiliser son Geass pour la forcer à l’attaquer en public et relancer les hostilités. Mais devant la pureté de cette femme qu’il a jadis aimée, Lelouch abandonne et se rallie à elle, acceptant la fin de sa rébellion. A ce moment même, il cesse d’agir comme un roi. Les chevaliers sont des vassaux après tout.

Zero abdicte, vaincu par ses sentiments
Zero abdicte, vaincu par ses sentiments

La tournure des évènements est bien connue : Lelouch perd le contrôle de son Geass et ordonne par erreur à Euphie de tuer tous les japonais, relançant ainsi la guerre et le confortant dans sa position. Ce passage parait de prime abord extrêmement tiré par les cheveux, mais il ne l’est pas tant que ça. Le fait que Lelouch ai perdu le contrôle de son Geass vient directement du geis qu’il a enfreint : en cessant d’agir comme un roi, il a perdu tout contrôle sur son pouvoir, ce qui précipitera sa défaite (le fait qu’il utilise un Geass est désormais évident, ce qui permet à V.V. de remonter sa piste et de mettre fin à son petit jeu).

L’ordre donné par erreur semble bien arranger les scénaristes, mais rappelle tout de même les tragédies irlandaises. Le geis est l’instrument du destin, et le destin de Zero est de continuer sa bataille contre le monde. C’est ce même destin que sert la perte de contrôle sur son Geass et cet ordre fatidique.

Car c’est en réalité là que se trouve le véritable geis, dans cette condition qui oblige la personne à toujours agir comme un souverain, maître de sa destinée, fidèle à ses convictions. Lelouch et Mao ont échoués pour différentes raisons, là où Charles a toujours régné en maître sur tout.

Il est intéressant de voir que pour Rolo les conséquences sont différentes : plutôt que d’avoir son Geass activé en permanence, il est également affecté par son pouvoir. Chaque fois que Rolo arrête la perception du temps chez autrui, c’est aussi son propre cœur qui s’arrête de battre. Après tout, il n’a clairement pas l’étoffe d’un roi.

« Le Pouvoir du Roi te condamnera à une vie de solitude »
« Le Pouvoir du Roi te condamnera à une vie de solitude »

La Volonté du Peuple

Mais même après avoir tout perdu, Lelouch n’abandonne pas ses convictions. Euphie était une erreur de parcours, par la suite il n’a plus jamais hésité. Même après avoir perdu ses souvenirs il continue d’être le rebelle nommé Zero, et son Geass sommeille toujours en lui. Ce qui est fait est fait, il ne retrouvera plus jamais le contrôle total de son pouvoir, mais son combat continue.

Si son Geass était le pouvoir obtenu pour les deux geasa («réaliser le voeu de C.C. » et «être digne du Pouvoir du Roi»), ses pupilles démoniaques ne sont pas ses seules armes. La plus puissante de toute est son influence, son rôle de leader et la confiance qui lui est accordée par ceux qui le suivent.

C’est ce qu’il nomme la «Volonté du Peuple», et il en parle comme s’il s’agissait d’un Geass. En réalité, c’est au geis que Lelouch fait allusion cette fois. Il parle de ce serment qui est à la fois une bénédiction et une malédiction, un engagement qui octroie le pouvoir à celui qui le respecte et la chute à celui qui l’enfreint.

C’est un geis inhérent à tout souverain, à tout leader, à toute idole. Celui qui a la confiance d’autrui en a la responsabilité.

Le Geass de Lelouch oblitère le libre arbitre des gens
Le Geass de Lelouch oblitère le libre arbitre des gens

Pour Lelouch, la fin justifie les moyens, et plus il essuie de pertes, moins il a de choses à perdre et plus son pouvoir augmente... et au final il devient de plus en plus détaché de ce qui l’entoure, ce qui renforce ses méthodes brutales. Au fur et à mesure que sa rébellion progresse, Lelouch s’enfonce et semble oublier ses vrais motifs. A plusieurs reprises il devra redécouvrir la raison pour laquelle il s’est dressé contre le monde entier au risque de ne devenir qu’un simple démon assoiffé de sang, bien éloigné de son idéal de justice.

De la même façon que ses méthodes se radicalisent, sa façon d’utiliser le Geass aussi. Lelouch est conscient que son œil retire tout libre arbitre à sa cible et c’est la raison pour laquelle il se refuse à l’utiliser sur Suzaku. Il sait que cela revient à écraser leur volonté.

Pour un souverain, utiliser le Geass revient à marcher sur cette «Volonté du Peuple » si sacrée, et donc… enfreindre un autre geis.

Lorsque les Chevalier Noirs apprennent la vérité sur le Geass de la part de Schneizel, leur premier réflexe est de se penser sous l’influence du Geass et ils se demandent si pendant tout ce temps ils ont agis selon leur propre volonté ou celle de Zero. C’est faux, jusqu’à présent Lelouch n’a jamais utilisé le Geass sur ses propres troupes, mais c’est impossible à prouver. En violant la volonté de ses ennemis, Lelouch a semé le doute chez ses propres hommes et se voit désormais trahis par ceux en qui il avait placé sa confiance.

Cette mutinerie, la plus grosse défaite qu’ai subi Zero, est la conséquence pour avoir enfreint ce geis inhérent à tout souverain.

Ce qui arrive à ceux qui piétinent la Volonté du Peuple
Ce qui arrive à ceux qui piétinent la Volonté du Peuple

Le Requiem de Zero

In order to defeat Britannia

and create and rule a new

ideal world of his own, Lelouch has just

started revolutionary war all alone.

L’ultime plan de Lelouch est simple : devenir le plus grand dictateur que la Terre ai portée et centraliser toute la haine du peuple envers lui afin de les unir dans l’adversité.

Après tout, si Lelouch s’est lancé dans une guerre révolutionnaire tout seul, une fois le Requiem de Zero accomplis, c’est le monde entier qui se rebelle contre lui. Il a transféré sa volonté de changement au peuple, il les a en quelque sorte “réveillés”.

Lors du Miracle du Million, Lelouch dit que Zero n’est pas un visage, que ce sont des actes et un état d’esprit. Bien sûr c’était pour servir son plan (exiler un million de japonais portant son masque) mais au fond il était sincère. Zero est le symbole de la rébellion, de la révolte. C’est l’emblème de celui qui refuse de subir et qui souhaite changer les choses. En cela il est similaire à Guy Fawkes : Zero n’est pas Lelouch, c’est bien plus que ça.

Le sous-titre de la série est “Lelouch of the Rebellion“, et non pas “The Rebellion of Lelouch“. Cela sous-entend que c’est Lelouch qui sert la rébellion, et non l’inverse. Cette révolte est quelque chose d’indépendant, d’autonome presque, et Zero n’en est que le principal moteur.

Bientôt c'est le monde entier qui portera son masque
Bientôt c'est le monde entier qui portera son masque

Je ne peux pas m’empêcher de penser à quel point la fin de Code Geass et de l’Empereur-Dieu de Dune sont similaires (ce qui est très loin d’être une mauvaise chose).

Tout comme Leto II Atréides, Lelouch centralise la haine du monde envers lui, devenant le plus grand tyran que l’humanité ai connu. Une fois cela fait, il organise sa propre mort, utilisant ses amis comme ses ennemis pour ce faire. La ressemblance entre les deux est réellement troublante, la scène étant quasi-identique : à bord de leur char, à la vue de tous, tués par celui qui était à la fois leur meilleur ami et leur pire ennemi.

Que ce soit le Sentier d’Or ou le Requiem de Zero, l’objectif au final est le même : marquer les esprits pour pousser l’humanité à se reprendre en main.

Lelouch vi Britannia, 99ème empereur du Saint Empire de Britannia a déjà atteint son but. La libération des colonies ou l’abolition des privilèges sont des exemples de mesures qu’il a prises pour détruire la Britannia qu’il haïssait tant. Après tout, Suzaku avait raison, il vaut mieux changer les choses de l’intérieur.

Il ne lui restait donc qu’à bâtir un nouveau monde, un monde meilleur où même quelqu’un de faible comme sa sœur pourrait se faire une place et vivre en paix. Bien sûr, aveuglé par sa quête de justice, il a été incapable de comprendre que pour elle ce monde existait déjà, qu’il suffisait qu’il soit à ses côtés pour qu’elle soit heureuse. En quelque sorte, en se sacrifiant il a même détruit ce monde parfait qu’elle aimait tant.

Alors pourquoi ?

La fin d'un monde, et la création d'un nouveau
La fin d'un monde, et la création d'un nouveau

Le Crépuscule des Dieux

La vérité c’est que la rébellion de Lelouch n’est plus seulement pour le seul bénéfice de Nunnally. Bien avant qu’il ne décide de se dresser devant elle, bien avant qu’il n’utilise son Geass pour la soumettre, Lelouch avait déjà compris que les enjeux dépassaient la petite famille Lamperouge.

Il s’agissait du Japon auprès duquel il s’était engagé, même s’il ne le considérait que comme un outil pour accomplir ses propres objectifs. Plus tard le Japon fut rejoint par d’innombrables autres nations, formant la Fédération des Nations Unies. La moitié du monde s’était en effet rallié sous sa bannière.

Et c’est là que la Volonté du Peuple intervient.

Si celui qui dirige a des responsabilités envers ceux qui le suivent, alors Lelouch était responsable du sort de millions d’hommes et de femmes. Des millions de gens qu’il a trompés, qu’il a manipulés sans vergogne voir même sacrifiés. Lors de leurs règlements de comptes, Suzaku lui demande de transformer ces mensonges en réalité, de véritablement embrasser l’idéal de Zero plutôt que sa quête de vengeance.

C’est quand Lelouch aura perdu sa raison de combattre que ces paroles referont surface. Nunnally est présumée morte, la Fédération des Nations Unies et l’Ordre des Chevaliers Noir l’ont trahis et sa mère qu’il souhait venger se révèle être son ennemie…

A cet instant, Lelouch n’a plus de raison d’être Zero. Il n’a plus de raison de se battre, il n’a plus personne à protéger, plus personne à venger, plus personne à diriger. Les seules choses qu’il lui reste sont ses mensonges et ses machinations. Sa culpabilité et ses remords. Les vies qu’il a prises et toutes les volontés qu’il a détruites avec son Geass.

Pour celui qui a enfreint tous ses geasa, la chute est inéluctable.

C’est à ce moment-là que Lelouch réalise son véritable souhait, celui qui se cachait derrière tous les autres, quelque chose de plus global, de plus général qui était la véritable source de sa révolte. Ce que Lelouch voulait était un futur, pas seulement pour lui mais pour le monde. Un lendemain plus beau que la veille, l’espoir de jours meilleurs.

Si Charles est prisonnier du passé et Schneizel enfermé dans le présent, alors Lelouch construira un nouveau futur.

« Plus que le passé et le présent, je veux un futur ! »
« Plus que le passé et le présent, je veux un futur ! »

C’est ce qui se cache réellement derrière le Requiem de Zero.

Il ne s’agit pas pour Lelouch de seulement bâtir un ordre nouveau, plus juste, mais également d’expier ses pêchés. Car il a volé leur futur à d’innombrables gens, il souhaite en apporter un nouveau à ceux qui restent.

Il réalise la nature de son ultime geis, la Volonté du Peuple et comprend qu’il l’a déjà enfreint, qu’il est trop tard pour se racheter.

Au moment de tendre le masque de Zero à Suzaku, Lelouch lui dira que ce dernier “mourra”. Kururugi Suzaku cessera d’exister, l’homme qu’il est avec ses convictions et idéaux, son passé et son futur, ses bons et mauvais côtés, tout disparaitra, oblitéré par le poids des responsabilités.

L’ultime serment du souverain, la responsabilité de celui qui dirige détruira l’homme sous le masque.

Au moment d’accomplir le Requiem de Zero, Suzaku prêtera serment sur le corps de Lelouch, promettant d’accepter ce geis et ses conséquences.

« Ce geis, je l'accepte ! »
« Ce geis, je l'accepte ! »

Re;

Le geis est un serment qui apporte le pouvoir à celui qui le respecte, et la déchéance à celui qui l’enfreint. La plupart des héros de la mythologie irlandaise finissent par ne pas respecter leur parole et connaissent une fin tragique.

Alors, est-ce que le destin de Lelouch et de Cú Chulainn sont les mêmes ?

Lelouch aura tout perdu, il aura été mis au pied du mur, trahis et abandonné par tous. Au final il aura connu sa propre fin et les générations futures se souviendront de lui comme un horrible tyran. Cela semble suffisamment tragique... mais est-ce vraiment le cas ?

Code Geass se clôture sur une scène avec C.C. reprenant la route, seule une fois de plus face à l’éternité. Elle regarde le ciel et semble perdue dans ses souvenirs. «Le Pouvoir du Roi te condamnera a une vie de solitude », se rappelle-t-elle. Mais elle se demande si c’est aussi simple que ça, si les choses sont aussi machinales qu’elles le paraissent.

Si on enfreint son geis, la chute est assurée, elle est inévitable et tragique. Vraiment ? C.C. semble ne plus y croire, d’autres forces pourraient bien être à l’œuvre.

Car même si Lelouch est mort, il est mort le sourire aux lèvres. Le monde a désormais un futur brillant devant lui, Britannia n’est plus une nation totalitaire et le Japon est libre, Nunnally vivra dans un monde en paix, soutenue par les Chevaliers Noir et Suzaku. Le monde entier aura retenu la leçon et se serre les coudes en se souvenant de leur ennemi commun, tous travailleront de concert pour faire face à l’avenir. Même si cela ne devait durer qu’un temps, Lelouch a atteint son objectif.

Alors peut être qu’au final le Geass n’apporte pas que le malheur...

Pas vrai, Lelouch ?
Pas vrai, Lelouch ?